2013: toutes premières impressions après vendanges
Les vendanges 2013 viennent tout juste de se terminer et j'en profite pour vous livrer mes premières impressions à chaud.
Ce fut une année compliquée, l'hiver a mangé le printemps et le froid a duré jusqu'à fin juin, heureusement l'été fut bien au rendez-vous et a permis de rattraper une bonne partie du retard mais 2013 se situe définitivement parmi les années tardives.
La fleur fut une fois de plus contrariée par les mauvaises conditions climatiques et cette fois les Riesling, les Muscat et les Gewurztraminer en ont subi les conséquences avec beaucoup de coulures et de millerandages.
Par contre nous avons échappé aux nombreuses grêles et l'été fut plutôt serein, au contraire de l'automne qui fut perturbé par la pluie et des alternances de chaleur et de froid.
Nous avons commencé nos vendanges le 7 octobre par les Pinot Gris et avons alors vendangé sans discontinuer jusqu'au 25 octobre, pressés par le temps et l'évolution rapide des peaux de raisins. Nous n'avons même pas tenté de vendanges tardives sur les Gewurztraminer du Fronholz tant les raisins étaient fragiles et n'avaient plus la capacité de rester sur souche.
Que dire déjà de ce millésime sinon qu'il partage avec 2012 une floraison difficile mais que les rendements sont bien plus faibles, qu'il a des degrés alcooliques d'avant le réchauffement climatique et des acidités soutenues et qu'il me rappelle les moûts du début des années 90 en plus achevé car depuis la biodynamie est passée par là.
En effet même si les baies ne tenaient souvent plus qu'à un fil, à la sortie du pressoir les jus coulaient clairs et se goûtaient nets et purs; il faut dire que nous avions pulvérisé une préparation 501 de silice avant les pluies de Septembre pour renforcer les pellicules et améliorer la maturité des raisins. Et nos pépins étaient mûrs malgré des taux de sucres inférieurs de 1° à 1,5° en alcool potentiel aux millésimes récents.
D'où l'analogie avec des millésimes d'avant le réchauffement climatique, que je situe à 1997, et on peut d'ores et déjà affirmer que 2013 fera des vins plus léger avec des fraîcheurs désaltérantes qui combleront les nostalgiques des vins d'antan.
Finalement la vraie préoccupation du millésime 2013 restera la question des quantités récoltées, en effet c'est la plus petite récolte de mes 34 vendanges, à égalité avec 2010 et si l'on rajoute 2012, cela fait 3 récoltes sur les 4 dernières années qui auront été déficitaires!
André Ostertag, Vigneron
Epfig, le 30 octobre 2013
2013, le vin philosophale
Réflexions et premières impressions après les mises en bouteilles de printemps
Il en est de la vigne comme du vin, il existe deux types de viticulture comme il y a deux approches de la vinification.
L'une, qui asservit la vigne par la chimie en la coupant de son milieu naturel, s'accompagne généralement d'une vinification technologique où le vin, considéré comme une matière analytiquement quantifiable, est formaté comme un produit industriel et dopé avec toute une panoplie d'adjuvants oenologiques.
Cette approche s'apparente davantage à de l'illusionnisme légalisé plutôt qu'à l'expression d'un terroir d'origine!
L'autre respecte la vigne et l'aide à s'inscrire dans son écosystème, par ailleurs nommé Terroir, et en cela la libère en la rendant autonome. Cette deuxième voie qui est celle de l'agriculture bio et biodynamique, se prolonge en cave par une approche « naturelle » diamétralement opposée à l'approche industrielle.
Faire du vin devient alors affaire de patience et d'observation attentive où, comme le disait René Lafon, « il faut savoir ne rien faire ». Ceci, loin de signifier qu'il faille laisser faire, est plutôt une invitation à ne pas agir précipitamment afin d'accorder au vin le temps de se faire.
En réalité, Savoir ne rien faire, c'est apprendre à taire ses peurs et faire confiance à son vin. Ce qui fait de la vinification un véritable acte spirituel, tant le nécessaire travail sur soi conditionne le travail sur le vin.
Et si l'on reconnaît à la vigne la capacité d'absorber les énergies telluriques et célestes, qui font l'identité du Terroir, peut-on alors ignorer l'impact spirituel du vigneron sur son vin, sachant que la pensée est une autre forme d'énergie que le vin saura capter?
D'où l'importance d'entrer, d'une certaine façon, en conscience avec son vin, non pour le contraindre, mais pour mieux le comprendre, d'entrer en conversation avec lui pour l'informer de nos intentions. Faire du vin c'est dialoguer avec lui pour l'aider à grandir et à se réaliser, n'est-ce-pas là le sens du mot élever, élever ses enfants ou élever son vin devenant le même travail.
Pour autant, n'oublions pas que le vin est un breuvage qui a le don de nourrir nos corps, d'influencer nos pensées et d'affecter nos états d'âmes, c'est de l'art digestible en quelque sorte!
Et la qualité d'un aliment comme la qualité d'une oeuvre d'art s'évaluent sur ce que l'un et l'autre savent transmettre à celui qui les reçoit.
Nous voilà bien éloignés de l'approche technologique réduisant le vin à une simple équation chimique ; en lui accordant toute notre attention spirituelle, on lui insuffle un peu de cette précieuse vie indispensable à son accomplissement.
Le millésime 2013 a été un parfait exemple de vinification par travail intérieur. En effet la vendange s'est d'abord faite sur le fil du rasoir ce qui a obligé à garder la tête froide et les nerfs solides, puis il a fallu faire confiance aux levures indigènes malgré les conditions difficiles et enfin ne pas perdre patience lorsque les fermentations s'éternisaient!
Mais comme nous avions confiance en nos raisins dont le vin n'est après tout que le prolongement, peut-être faudrait-il plutôt dire la transmutation, cette confiance nous a permis de surmonter nos angoisses existentielles et de laisser les vins se faire à leur rythme.
Et les résultats sont à la hauteur de l'effort accompli car ce millésime 2013 sera quasi l'alter-ego du fabuleux 2012.
Il en partageait déjà la face sombre par cette floraison contrariée mais il en porte aussi la face lumineuse.
Les alcools seront inférieurs de 0,8 degré en moyenne à 2012 ce qui rend les bouches un peu moins puissantes, mais de cela qui osera se plaindre de nos jours...
Par contre les vins présentent le même toucher de bouche tout en grâce soyeuse, avec une acidité un peu plus apparente ce qui les rend plus toniques avec des nez intenses et incroyablement subtils.
En cela 2013 s'annonce être le frère cadet de 2012 tant ces mises de printemps montrent une évidente filiation dans la structure et la gourmandise de ces deux millésimes.
André Ostertag
Epfig, le 20 mai 2014